Africa-Press – Benin. Annoncé par la presse, attendu par l’opinion, Patrice Talon s’est prêté, mardi soir, à un exercice que lui-même affectionne peu: l’entretien télévisé. Mais ce rendez-vous tant espéré n’aura ni apaisé les tensions ni éclairé les incertitudes politiques du moment. Le chef de l’État, que beaucoup attendaient sur les grands sujets nationaux, semblait surtout venu solder ses comptes avec un adversaire dont le spectre continue de hanter sa gouvernance: Boni Yayi.
L’aveu sous le vernis du discours
La peur de l’après
La défense d’un Sénat encombrant
L’éternel retour du duel
L’heure du repos politique
Durant 45 minutes, Patrice Talon a laissé transparaître une préoccupation constante: son prédécesseur. Chaque argument, chaque justification, chaque pique semblait tourner autour de cet homme qu’il accuse, encore et toujours, de vouloir saboter ses réformes. Comme s’il fallait rappeler que la politique béninoise demeure prisonnière de cette rivalité inachevée entre deux hommes, deux égos, deux visions irréconciliables du pouvoir.
L’opinion, elle, n’a pas manqué d’y voir moins un discours de chef d’État qu’un long plaidoyer personnel, une tentative de reprendre la main sur un duel qui, décidément, n’en finit pas.
En effet de ce show médiatique, une phrase résume le sentiment général: « Si je n’ai pas triomphé, c’est Yayi. » Ce cri implicite, derrière les formules diplomatiques et les détours oratoires, donne à la sortie présidentielle l’allure d’un règlement de compte différé.
Le ton était inhabituel. L’assurance froide et maîtrisée du compétiteur né a laissé place à une voix hésitante, presque défensive. L’homme qui affirmait jadis n’avoir besoin de personne semble désormais réclamer la compassion de tous. Le verbe s’est fait moins tranchant, la posture moins conquérante.
Ce n’est pas une erreur de communication, c’est un aveu d’état d’esprit. Le président Talon, qui a longtemps cultivé l’image d’un homme inébranlable, donne aujourd’hui le sentiment de craindre ce que l’avenir lui réserve une fois les attributs du pouvoir déposés. C’est une peur politique, mais aussi existentielle: celle d’un retour à la condition d’homme ordinaire, dans un pays où la mémoire du pouvoir est rarement bienveillante.
L’aveu sous le vernis du discours
Derrière les mots sur les réformes, le Sénat ou les institutions, se dissimule un message subliminal: la difficulté à assumer l’impopularité et la volonté d’en transférer la responsabilité à un autre. En désignant Yayi comme l’obstacle ultime, Talon se décharge d’une part du poids de son propre bilan. Mais ce faisant, il renverse son propre récit: celui de l’homme fort qui voulait “assumer seul” la rigueur des réformes.
La contradiction est flagrante. On ne peut, à la fois, se réclamer du courage politique et chercher des boucs émissaires. On ne peut se dire architecte du renouveau et imputer les fissures du bâtiment à l’ombre de son prédécesseur.
La peur de l’après
Ce qui transparaît dans cette communication, c’est une angoisse d’après-pouvoir. Le chef de l’État ne semble plus redouter ses adversaires d’aujourd’hui, mais ce qu’ils pourraient redevenir demain. La dénonciation répétée des actions supposées de Boni Yayi traduit moins un désaccord politique qu’un trouble personnel: celui d’un homme qui pressent que le pouvoir lui échappe et que le récit qu’il en laissera n’est plus totalement sous son contrôle.
Cette dimension psychologique de la sortie présidentielle est d’autant plus frappante qu’elle s’inscrit dans une mise en scène inhabituelle: un entretien plus long que profond, où les vraies questions ont glissé sous le tapis, notamment celle de la révision constitutionnelle. Ce silence, aussi assourdissant que calculé, a renforcé l’impression d’un discours davantage tourné vers le passé que vers la Nation.
Le contexte de la sortie médiatique du président Patrice Talon suscite également la réflexion. Tout semble confirmer que cet entretien est la conséquence de deux déclarations consécutives de l’ancien président Boni Yayi. Une première déclaration au cours de laquelle le président du parti LD accuse son successeur de vouloir mettre sous boisseau la démocratie béninoise en supprimant l’opposition. Cette déclaration est suivie de celle dans laquelle il dénonce le caractère antidémocratique du sénat en gestation et affirme que son ombre ne figurera pas dans cet organe.
Une posture qui a sans doute effleuré sans sensibilité du chef de l’État qui voit dans cette démarche une nouvelle opposition à sa réforme institutionnelle, l’une des dernières de son mandat. Toute chose qui a donné à sa sortie médiatique, l’allure d’un règlement de compte.
La défense d’un Sénat encombrant
Dans son développement, le chef de l’État a semblé justifié la réforme constitutionnelle portée par son camp comme une réponse à l’adversité politique notamment celle entre lui et son prédécesseur.
Mais ce Sénat qu’il tente de présenter comme un gage de stabilité, beaucoup le perçoivent comme une citadelle politique de plus.
Derrière la théorie institutionnelle, l’arrière-plan politique s’impose: les anciens présidents, membres de droit du futur Sénat, y siégeraient avec la possibilité d’influer, voire de corriger les choix de leurs successeurs.
Autrement dit, l’ombre du passé s’installerait au cœur même du pouvoir législatif, avec pour garantie que rien d’essentiel ne s’efface totalement. Le risque est clair: transformer cette chambre en un espace de revanche feutrée, où les vieilles rancunes se drapent des habits de la sagesse d’État.
L’éternel retour du duel
Ce face-à-face sans fin entre Talon et Yayi, deux anciens alliés devenus adversaires, fatigue la République. Les voir dans un même Sénat tel que conçu dans la proposition de loi Aké-Assan ne rassure guère.
Malheureusement, chacun des deux hommes d’Etat, à sa manière, refuse le silence du retrait de la vie politique du pays.
La vie politique béninoise semble se résumer à cette tension circulaire où les mêmes visages, les mêmes querelles, reviennent hanter les institutions.
Le pays, lui, attend autre chose: des perspectives, un souffle, une génération nouvelle libérée des querelles de succession et des règlements de comptes.
Faire figurer ces deux rivaux dans un même Sénat reviendrait à prolonger un duel dont les Béninois ne veulent plus être les témoins. Ce projet, censé consolider la démocratie, risque d’en devenir la caricature: une chambre haute où l’on viendrait solder les dettes d’hier sous couvert de sagesse institutionnelle.
Le Bénin mérite mieux que cette mise en scène. Le pays gagnerait à offrir à Patrice Talon et à Boni Yayi le luxe du repos politique, celui qui permet à une nation de respirer enfin, loin des passions d’hommes que tout oppose et que tout ramène toujours l’un vers l’autre.
L’histoire, parfois, avance mieux lorsque ses protagonistes savent se retirer.
L’heure du repos politique
Il faut le dire sans passion: le Bénin a assez vécu sous le rythme de ce duel Yayi-Talon. Les deux hommes ont donné à la République ce qu’ils pouvaient lui offrir. Mais l’un comme l’autre incarnent aujourd’hui moins des projets que des réflexes.
Car maintenir ces deux figures dans la même arène, fût-ce sous le toit d’un Sénat, c’est condamner le pays à rejouer indéfiniment la même pièce.
La République mérite un nouveau souffle, des visages neufs et des idées fraîches. Le reste n’est plus de la politique, c’est du théâtre. L’histoire, parfois, avance mieux lorsque ses protagonistes savent se retirer.
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