Au Burkina Faso, Ablassé Ouédraogo, Ibrahim Traoré et les vrais-faux Volontaires

Au Burkina Faso, Ablassé Ouédraogo, Ibrahim Traoré et les vrais-faux Volontaires
Au Burkina Faso, Ablassé Ouédraogo, Ibrahim Traoré et les vrais-faux Volontaires

Africa-Press – Burkina Faso. Huit semaines après sa disparition, l’ancien ministre des Affaires étrangères de Blaise Compaoré est apparu dans une vidéo, tenue militaire dépareillée et kalachnikov à la main. À 70 ans passés, il a rejoint contre son gré le rang des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) du capitaine IB.

C’est une vidéo, mise en ligne le 18 février, devenue virale: Ablassé Ouédraogo, que tout le monde recherchait depuis son enlèvement, la veille de Noël, par des hommes encagoulés disant appartenir à la police nationale. Kalashnikov à la main, treillis marron usé et baskets noires aux pieds, il tente maladroitement d’obéir aux ordres d’un caméraman.

Après des critiques contre IB

À ses côtés, deux autres personnes, elles aussi bien connues des Burkinabè: Issiaka Ouedraogo, président du Conseil d’information et de suivi des actions gouvernementales, et le docteur Daouda Diallo, secrétaire général du Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés. Les trois hommes ont été arrêtés, à des dates différentes, après avoir tenu des propos acerbes à l’égard du régime du capitaine Ibrahim Traoré, dit IB.

Ablassé Ouédraogo, ancien ministre des Affaires étrangères (1994-1999) de Blaise Compaoré et ex-directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), passé dans l’opposition après avoir créé son parti Le Faso Autrement, fait partie des contempteurs des militaires au pouvoir depuis le coup d’État de la fin septembre 2022. Dans une lettre ouverte publiée en octobre dernier, il avait notamment dénoncé « les restrictions des libertés individuelles et collectives, le musellement de la presse et le recul de la démocratie » depuis le putsch.

Courageux, mais pas un as de la gâchette

Ceux qui le connaissent bien – l’auteur de ces lignes en fait partie – savent qu’Ablassé Ouédraogo n’a jamais eu sa langue dans sa poche. Ils savent aussi que, si le courage ne lui a jamais fait défaut, il n’a rien d’un as de la gâchette ou du couteau, n’est guère versé dans l’art du krav-maga et que ses articulations de septuagénaire l’empêchent forcément de briller sur le théâtre des opérations.

Depuis un décret adopté en avril dernier, ces « conscriptions » obligent tout Burkinabé désigné à servir au sein des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), supplétifs civils de l’armée envoyés au front face aux jihadistes. Une mobilisation générale visant à renforcer la lutte contre les attaques terroristes au Burkina. Soit. Mais par définition, un « volontaire » exprime le souhait de rejoindre les rangs des forces de sécurité, on ne l’y envoie pas de force, en l’embarquant manu militari et souvent nuitamment, sans que sa famille ou ses proches soient informés du sort qui lui est réservé. Surtout, dans un pays où l’âge moyen est de 22 ans, on peut éviter d’imposer à des hommes qui ont dépassé les 70 printemps d’aller jouer les apprentis bidasses face à des combattants bien plus aguerris, au prétexte qu’ils ne sont pas des thuriféraires béats du régime.

Le 6 décembre, le juge des référés du tribunal administratif de Ouagadougou avait ordonné la suspension de ces réquisitions et interdit au commandement des opérations militaires tout déploiement de ces personnes. Inutile de préciser qu’il n’a guère été entendu.

Héritier autoproclamé de Sankara

Pour le capitaine Ibrahim Traoré, héritier autoproclamé de Thomas Sankara, qui avait institué des Comités de défense de la révolution (CDR), sorte de milice équivalente à ceci près qu’à l’époque, il n’était évidemment pas question de lutte antiterroriste, les VDP représentent la pierre angulaire de sa stratégie militaire. À peine un mois après s’être hissé au pouvoir, il a lancé une vaste campagne de recrutement de 50 000 volontaires. Un objectif vite dépassé, selon les autorités.

Électriciens, mécaniciens, paysans, chômeurs, pères de famille… Ils seraient plus de 90 000, dont des femmes et des personnes âgées, à s’être enrôlés pour défendre leur pays. Ils sont toutefois bien moins nombreux à être effectivement armés et déployés sur le terrain en soutien de l’armée.

Formés sommairement, sous-équipés, ils paient un lourd tribut dans cette guerre sans fin. Et sont parfois accusés de commettre des exactions. Comme à Nouna, dans l’ouest du Burkina Faso, le 30 décembre 2022. Ce jour-là, 28 personnes, selon un bilan officiel (86, selon Amnesty International), principalement des Peuls, ont été tuées par des VDP, membres d’une confrérie de chasseurs dozos.

D’autres massacres leur ont été attribués, notamment dans la région des Cascades ou dans celle de la Boucle du Mouhoun. Le sentiment d’impunité qui, par endroits, les pousse parfois à se faire justice eux-mêmes ou à outrepasser leurs prérogatives est également dénoncé. Si en plus, se mêlent aux vrais Volontaires les journalistes critiques, les opposants ou les membres de la société civile ainsi punis par la junte, les jihadistes ont encore de beaux jours devant eux.

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