États-Unis : quand Washington repart à la conquête du continent

États-Unis : quand Washington repart à la conquête du continent
États-Unis : quand Washington repart à la conquête du continent

Africa-Press – Burkina Faso. Durant quatre ans, l’Afrique a été le cadet des soucis du président américain. Entre son désengagement militaire et ses déclarations humiliantes, Donald Trump s’en est tenu à son slogan : « America first », et qu’importe le reste du monde.

Changement de style, de ligne, et désormais de politique. Avec l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche en 2021, l’administration américaine tente de renforcer son influence sur le continent africain. Pour preuve, la visite début août d’Antony Blinken – la première du secrétaire d’État américain sur le continent – en Afrique du Sud, en République démocratique du Congo et au Rwanda.

« Soft power »

Portée sur les intérêts économiques comme sur les enjeux politiques, cette visite avait pour but de relancer le « soft power » américain autant que de s’emparer des dossiers qui comptent parmi les plus difficiles. Antony Blinken a ainsi déploré « les rapports faisant état de soutien de la RDC aux FDLR, comme de ceux faisant état du soutien du Rwanda au M23 », appelant à ce que ces soutiens cessent de part et d’autre.

Cette visite intervient alors que les États-Unis viennent d’annoncer la tenue d’un sommet avec les dirigeants africains, qui se tiendra du 13 au 15 décembre à Washington. Joe Biden, âgé de 79 ans, a rendu visite aux alliés des États-Unis en Europe, en Asie et au Moyen-Orient au cours des dix-huit premiers mois de son mandat, mais pas en l’Afrique, de sorte que le sommet marquera son engagement le plus significatif avec le continent à ce jour.
« Le président Biden est convaincu que la collaboration des États-Unis avec les dirigeants africains ainsi qu’avec la société civile, les entreprises, la diaspora et les jeunes est essentielle pour relever les défis communs et saisir les opportunités », déclare un porte-parole du Conseil national de sécurité, concernant notamment l’augmentation de la production alimentaire durable, la lutte contre la pandémie de Covid-19, la réponse à la crise climatique, la construction d’une économie mondiale forte et inclusive, la fourniture d’une aide humanitaire vitale et le renforcement des institutions et de l’État de droit.

L’objectif principal du sommet est de positionner les États-Unis comme le partenaire naturel d’une Afrique jeune et démocratique. « Ce sommet démontrera l’engagement durable de l’Amérique envers nos partenaires africains, et il sera fondé sur des principes de respect mutuel et de partage des intérêts et des valeurs », a déclaré la vice-présidente, Kamala Harris. « Un élément essentiel de ce sommet sera le renforcement de nos relations économiques. » L’administration américaine reconnaît implicitement qu’en Afrique, elle a pris un important retard par rapport à d’autres puissances mondiales.

Perte de terrain
C’est Barack Obama qui, le premier, a organisé un sommet des dirigeants américano-africains, en août 2014, avec l’intention déclarée de « contribuer à lancer un nouveau chapitre dans les relations américano-africaines. » Immensément populaire sur le continent, le premier président noir des États-Unis avait accueilli près de 50 chefs d’État pour un événement historique de trois jours visant à « envoyer le signal très clair que nous renforçons notre engagement avec l’Afrique. »

Huit ans plus tard, les États-Unis n’ont fait que perdre du terrain face à leurs concurrents en Afrique. La Chine est le premier partenaire commercial du continent depuis 2009.

Moscou a également fait des percées, les mercenaires du groupe Wagner, soutenus par le Kremlin, opérant désormais dans pas moins de dix-huit pays africains, selon le Centre d’études stratégiques et internationales de Washington. La diplomatie russe est également mobilisée, le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, ayant effectué en juillet une tournée en Égypte, en République du Congo, en Ouganda et en Éthiopie.

D’ici à l’événement américain de décembre 2022, l’Union européenne, le Royaume-Uni, la Turquie, l’Inde et le Japon auront tous tenu leur sommet. La Russie devrait tenir son deuxième sommet africain au milieu de l’année prochaine, tandis que la Chine a organisé son quatrième Forum triennal sur la coopération sino-africaine (FOCAC) au Sénégal en novembre 2021.

« Honnêtement, je pense que la décision d’organiser à nouveau un sommet des chefs d’État tient en partie au fait que tout le monde le fait », déclare Tibor Nagy, ancien secrétaire d’État adjoint aux affaires africaines, aujourd’hui vice doyen pour les affaires internationales à la Texas Tech University. L’objectif de l’administration Biden, dit-il, est que les sommets soient « le fondement de l’attention que l’Amérique porte non seulement à l’Afrique, mais aussi aux Africains ».

Trump et les « pays de merde »
Obama a partagé des pensées similaires en 2014 lorsqu’il a décrit le sommet comme un « mécanisme de mise en oeuvre des décisions et des actions » pour une bureaucratie américaine qui a longtemps négligé l’Afrique par rapport aux autres régions du monde.

« Nous avons convenu que le sommet des dirigeants américains et africains sera un événement récurrent pour nous tenir responsables de nos engagements et pour soutenir notre élan », a déclaré Obama lors d’une conférence de presse après le sommet. « Et j’encouragerai vivement mon successeur à poursuivre ce travail, car l’Afrique doit savoir qu’elle aura toujours un partenaire solide et fiable en la personne des États-Unis d’Amérique. » Cependant, il n’en a rien été.

Les relations avec l’Afrique se sont distendues sous la présidence de Donald Trump, qui n’a pas mis une seule fois les pieds sur le continent et en a irrité plus d’un avec ses remarques sur les « pays de merde ».

« L’idée était de renforcer les relations avec l’Afrique. Mais la politique s’en est mêlée, les élections aussi, et l’administration qui a suivi celle d’Obama a eu, disons, un intérêt diplomatique très limité pour l’Afrique », explique Stephen Nolan, ancien ambassadeur au Botswana, qui est l’un des trois anciens fonctionnaires du département d’État sortis de leur retraite pour aider à organiser le sommet d’Obama. « C’est donc une bonne chose de voir l’Afrique revenir en pleine lumière aux États-Unis plutôt que de rester dans les coulisses diplomatiques. »

Face à face avec Pékin et Moscou
L’administration Biden tient à ne pas prendre l’Afrique pour acquise dans sa rivalité avec la Chine, affirme Cameron Hudson, un ancien fonctionnaire de la Maison Blanche aujourd’hui au CSIS. Beaucoup de gens sur le continent, dit-il, « n’ont pas apprécié » le discours sur la politique africaine que le conseiller à la sécurité nationale de Trump, John Bolton, a prononcé à la conservatrice Heritage Foundation en 2018 sur la prétendue « utilisation stratégique de la dette par la Chine pour tenir les États d’Afrique captifs des souhaits et des exigences de Pékin ».

En revanche, les responsables de l’administration Biden insistent sur le fait que « nous ne demandons pas à nos partenaires africains de choisir » entre les États-Unis et la Chine. L’ordre géopolitique a cependant radicalement changé au cours des quinze derniers mois.

La Chine n’a fait qu’approfondir ses relations avec le continent, le commerce bilatéral ayant bondi de 35 % en 2021 pour atteindre un sommet de 254 milliards de dollars (près de 225 milliards d’euros).

Pendant ce temps, la guerre en Ukraine accentue l’épreuve de force avec la Russie en Afrique, les États-Unis envoyant tout le monde sur le continent, de l’administratrice de l’Agence américaine pour le développement international (USAID), Samantha Power, à l’ambassadrice auprès des Nations unies, Linda Thomas-Greenfield, pour considérer Moscou responsable de la flambée des prix des denrées alimentaires et tenter de convaincre les Africains de condamner l’invasion.

« Que l’on parle de guerre froide ou de concurrence stratégique, les faits sur le terrain ont vraiment changé depuis que l’idée de ce sommet a vu le jour, au tout début de l’administration Biden, dit Hudson. La réponse du gouvernement américain est de souligner quelles sont nos valeurs, de faire la différence entre [les États-Unis] d’une part et les Russes et les Chinois de l’autre. »

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