Nouveau projet fédéral au Sahel africain « Mali-Burkina Faso-Guinée Conakry » : Perspectives et avenir

Nouveau projet fédéral au Sahel africain « Mali-Burkina Faso-Guinée Conakry » : Perspectives et avenir
Nouveau projet fédéral au Sahel africain « Mali-Burkina Faso-Guinée Conakry » : Perspectives et avenir

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Burkina Faso. Il n’est point facile de créer une fédération entre trois pays du Sahel africain vivant encore sous l’effet d’une résurgence de coups d’Etat, certes, mais, dans ce cas bien précis, il s’agirait d’un axe africain émergeant qui tâtonne pour se constituer, regroupant le Mali, le Burkina Faso et la Guinée Conakry.

Ce serait un nouveau bloc fondé sur des intérêts communs pour contourner les sanctions de l’Union africaine et de la CEDEAO, sachant que ses pays sont unis par le sentiment croissant d’hostilité envers l’ancien colonisateur français, notamment dans les milieux populaires.

Cette idée est née du fait de la détérioration des conditions sécuritaires, économiques et politiques dans ces trois pays, une idée qui a mijoté dans l’esprit des autorités du Burkina Faso qui n’ont pas hésité à lancer un appel à une « union fédérale » avec leur voisin le Mali, dans le cadre du départ des forces françaises des deux pays. Un appel auquel s’est jointe tout de suite après la Guinée Conakry.


Comment l’idée a vu le jour ?

Lors d’une visite effectuée le 2 février 2023 au Mali, le Premier ministre du Burkina Faso, Apollinaire Joaquim Kelem de Tambila, a suggéré l’établissent d’une « union fédérale souple », soulignant dans ce sens « Nous pouvons créer un syndicat flexible qui respecte les aspirations des trois parties ».

De Tambila, qui détient le poste de Premier ministre au sein d’un pouvoir de transition qui s’est installé suite à un « coup d’État militaire » mené par de jeunes officiers, fin septembre dernier, a ajouté que « la nouvelle fédération doit être établie maintenant, avant que le pouvoir ne soit remis aux civils, parce que quand les politiciens reviendront, ce sera difficile ».

Une semaine plus tard, soit le 9 février, une réunion tripartite s’est tenue à Ouagadougou entre les ministres des Affaires étrangères du Mali, du Burkina Faso et de la Guinée, sous la présidence d’Ibrahim Traoré et qui a abouti au soutien de la Guinée au projet fédéral et à son expression non expresse de la nécessité de construire un nouveau partenariat régional entre ces trois pays qui partagent des frontières communes et appartiennent à la région ouest-africaine, dont deux pays pivots dans la région du Sahel (Mali et Burkina Faso).


Abdoulaye Diop (Mali) Olivia Rouamba (Burkina Faso) Morissanda Kouyaté (Guinée)

Question faisabilité…

Malgré la large campagne médiatique et politique qui a accompagné l’initiative d’unité fédérale entre les trois pays, ce projet dans sa forme proposée semble peu réalisable pour quatre raisons principales, selon les observateurs, dont en premier lieu le journaliste et analyste malien Hussein Ag Issa qui a estimé que « de telles initiatives ne porteront pas leurs fruits car ce ne sont pas les premières, puisqu’il y a eu des initiatives qui les ont précédées et nous n’avons pas vu de résultats satisfaisants », se référant à la coalition Liptako Gourma qui réunissait le Mali et le Burkina Faso, en plus du Niger (une alliance économique créé en 1970), ainsi que (le regroupement des cinq pays du G5 Sahel), qui formait une force militaire conjointe. Toutes ces tentatives ont échoué, et aucun changement ne s’est produit, ni dans les aspects économiques, ni sécuritaires et ni politiques », selon Ag Issa.

Les raisons qui entravent la réalisation de cette fédération sont :

• La nature des gouvernements militaires de transition porteurs du projet, qui sont des gouvernements inconstitutionnels, dépourvus de légitimité vis-à-vis des institutions régionales et internationales africaines, et censés céder le pouvoir aux civils au cours de l’année 2024. Ils ne peuvent donc pas entrer dans de grands projets qui impliquent les conditions et formules souveraines des États selon la proposition actuellement avancée pour le bloc fédéral .

• Le rejet explicite par l’Organisation économique des États de l’Afrique de l’Ouest de ce projet qui contredit, dans son idée et son contenu, les objectifs de l’organisation en matière d’intégration économique entre les quinze pays qui la composent. C’est la nature d’un bloc tripartite au sein de l’espace ouest-africain d’affaiblir l’organisation et de concurrencer ses futurs projets de partenariat et de fusion. L’économie des trois pays mentionnés est organiquement liée en termes de composantes financières et commerciales aux pays de la CEDEAO et à leur espace économique commun.

• Malgré l’imbrication géographique et humaine entre les trois pays, il ne semble pas que leurs intérêts vitaux puissent converger dans le cadre d’un véritable partenariat intégrateur. On sait que le Burkina Faso et le Mali se sont affrontés dans des guerres frontalières en 1974 et 1985, et les racines de la tension existent toujours entre eux, tout comme la Guinée et le Mali se disputent des zones frontalières et la guerre a failli éclater entre eux en 2012. Ainsi, de nombreux éléments de tension empêchent objectivement une véritable unité fédérale entre les pays précités.

• Malgré le soutien de la Russie à un nouvel axe sahélien sous son influence, Moscou ne semble pas en mesure de combler le vide stratégique résultant du retrait de la France et des pays occidentaux de la région. D’où le partenariat militaire et sécuritaire entre la Russie et les trois pays susmentionnés n’est pas qualifié pour se transformer en un système sahélien intégré en tant qu’alternative aux organisations sahéliennes et ouest-africaines.

Hormis les quatre raisons citées précédemment, et d’après certaines analyses faites par des connaisseurs en matière d’affaires africaines, la possibilité la plus probable serait l’émergence d’un axe tripartite dans la région sahélienne entre les trois pays, soit un axe qui pourrait réussir avec trois objectifs à atteindre immédiatement :

A- Contourner les sanctions économiques africaines, en consolidant la coopération dans les domaines communs vitaux de l’énergie, du commerce et des infrastructures, tout en s’appuyant sur le port de Conakry en Guinée pour subvenir aux besoins nécessaires du Mali et du Burkina Faso.

B- Coordonner les investissements et la production dans l’exploitation des ressources agricoles, animales et minières communes (or, bauxite, fer, coton, bétail…), dont les capacités sont disponibles et vérifiables dans un avenir prévisible.

C- Coordonner les efforts militaires et sécuritaires face aux groupes terroristes et extrémistes actifs au Mali et au Burkina Faso notamment, sachant que le contrôle des deux pays sur de larges pans de leurs espaces régionaux est devenu fragile et que leurs armées ne semblent pas en mesure de répondre à la demande de la sécurité et la stabilité sociale dans les deux pays, d’où l’engouement pour la carte russe.

Donc bien qu’il soit trop tôt pour parler des pistes électorales dans les trois pays, des indications indiquent que les régimes militaires de transition sont en train de se transformer en une situation constitutionnelle normale grâce à la participation des dirigeants actuels au pouvoir aux prochaines compétitions électorales, malgré le rejet et contestation des parties régionales et internationales. Cette nouvelle situation peut imposer un partenariat politique et diplomatique plus étroit entre les gouvernements des pays susmentionnés à la lumière du boycott extérieur.

Quelles répercussions sur la situation régionale à la lumière du nouveau projet fédéral ?

Sincèrement, il faut avouer qu’aujourd’hui la région du Sahel connaît une contradiction explicite entre deux projets régionaux, chacun avec son propre contexte international :

• Premier projet : Le bloc du G5 Sahel, qui a été approuvé par les cinq pays pivots de la région en 2014, avec le soutien déclaré de la France.

Néanmoins, avec le retrait du Mali du bloc du G5 Sahel et la baisse d’engouement ressenti de la part du Burkina Faso, on peut affirmer que la Mauritanie, le Niger et le Tchad s’y accrochent toujours, car ce sont des pays qui entretiennent des relations étroites avec la France, et attendent avec impatience l’achèvement du plan de reconstruction des capacités de défense dans les pays du Sahel grâce au soutien des Nations unies, des grandes puissances occidentales et des États du Golfe.

• Deuxième projet :

Celui d’un éventuel nouveau bloc fédéral, ne semble pas en mesure d’attirer d’autres pays de la région, même si l’Algérie pourrait se ranger tactiquement à ses côtés pour affronter le projet français, qu’elle considérait comme destiné à l’origine à l’exclure de la région du Sahel.

Ainsi, s’il semble que le bloc du G5 Sahel soit encore hésitant et fragile, l’option du bloc fédéral tripartite n’est pas éligible au succès, même si elle peut conduire à soutenir une coordination politique et économique entre les pays précités pour des raisons tactiques circonstancielles.

Ce projet pourra-t-il naître « officiellement » ?

On ne peut vraiment l’affirmer, car on ne pense pas que cette « alliance » entre les trois pays puisse durer longtemps ou avoir un impact significatif, du fait que ces pays sont fragiles et souffrent de nombreux problèmes internes, et vivent avec de très grands défis sécuritaires, des conflits ethniques et sociaux complexes. En plus, leurs gouvernements semblent dans l’incapacité d’étendre leur influence sur l’ensemble de leurs terres. Ce sont donc des pays menacés par leur existence et leur tentative de former une union ou une coalition qui n’aura probablement pas d’avenir.

Les experts des affaires africaines n’excluent guère que la Russie ait un rôle à jouer dans la formation de ce « nouveau bloc ». Lorsque nous essayons de lire les arrière-plans, on se rend compte qu’il peut y avoir une tentative de la Russie de créer un bloc économique de 60 millions d’habitants, car au final la Russie doit se trouver un prétexte déterminent pour demeurer dans la région, beaucoup plus qu’avoir contribué à l’expulsion de la France, et donc elle a besoin d’un grand marché pour ses armes et ses marchandises, dans une région riche en or.

On peut également avancer que c’est l’isolement dans le champ africain qui a contraint ces trois pays à se coordonner, pour tenter ainsi de « briser l’isolement politique qui leur est imposé ».

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