vers la fin du procès Sankara

vers la fin du procès Sankara
vers la fin du procès Sankara

Africa-Press – Burkina Faso. En pleine transition politique, le spectre d’un coup d’arrêt prolongé avait plané sur le procès de l’assassinat du président Thomas Sankara et ses douze compagnons d’infortune, avec une suspension dès l’entame des plaidoiries des avocats de la défense. En cause, des conseils d’accusés avaient introduit un recours en inconstitutionnalité devant le Conseil constitutionnel burkinabè. Ils avaient brandi des dispositions du Code pénal, relatives aux infractions d’attentat et de complicité d’attentat à la sûreté de l’État. Des infractions constitutives d’un coup d’État que la Charte de la transition, « supérieure à la Constitution », ne condamne pas expressément. Mais finalement, le goulot d’étranglement juridique a été levé par le Conseil qui, dans une décision rendue le 18 mars, a jugé la requête des avocats mal fondée. De quoi permettre la reprise des plaidoiries cinq jours après, le 22 mars, et susciter un ouf de soulagement chez de nombreux impatients qui attendent le dénouement de cette longue bataille judiciaire. Un soulagement surtout pour les ayants droit des 13 victimes de la sanglante attaque contre le siège du Conseil de l’entente, quartier général du Conseil national de la révolution, à Ouagadougou, le 15 octobre 1987.

Quatre jours pour convaincre et…

Il a fallu quatre jours aux avocats de la défense pour déballer leurs arguments, jouer les dernières cartes en faveur de leurs clients. L’ordre de passage des conseils a laissé penser à un arrangement confraternel qui réserve pour la fin la défense des mis en cause les plus emblématiques. En l’absence donc de l’ex-président, Blaise Compaoré, et de son ancien chef de sécurité, Hyacinthe Kafando – tous les deux accusés mais en exil – et leurs conseils, c’est le général Gilbert Diendéré la vedette des 12 accusés présents, lui qui, au moment des faits, était le responsable de la sécurité du Conseil de l’Entente. C’est à ses avocats, une bonne demi-douzaine, de tenir en dernier le crachoir, pour alléger de « lourdes » charges qui pèsent sur lui : « attentat à la sûreté de l’État » ; « complicité d’assassinat » ; « recel de cadavre » et « subornation de témoin ».

Le tout premier du bataillon à venir à la rescousse du « général » est Me Latif Dabo. Il a démontré que son client, au sujet de l’infraction de « subornation de témoin », n’a jamais eu l’intention de brouiller le dossier, via un coaccusé, Tondé Ninda, qui se présente comme un envoyé du général auprès d’un autre mis en cause, Abdouramane Zétyenga, pour amener ce dernier à livrer un témoignage. Retranscription d’une pièce sonore à l’appui, Me Dabo fait constater l’absence « d’artifices, de manœuvres, de la supercherie, des menaces et des voies de fait » en vue de « retenir une information ou de mentir ». Il s’agit d’une simple demande, soutient l’avocat avant de marteler : « La loi est claire, amener quelqu’un à dire la vérité ne peut pas être une subornation de témoin ».

…échapper à de lourdes peines

Les deux autres infractions, « l’attentat à la sûreté de l’État » et la « complicité d’assassinat », ont particulièrement cristallisé les plaidoiries en faveur de Gilbert Diendéré, tout comme pour les autres accusés qui se sont vu reprocher les mêmes griefs. Et cela, d’autant plus que ces faits sont passibles de lourdes peines. C’est d’ailleurs ce qui avait prévalu pour que le parquet militaire requière 30 ans de prison contre Blaise Compaoré et Hyacinthe Kafando, 20 ans pour Gilbert Diendéré et trois autres accusés, à savoir Nabonswendé Ouédraogo, Idrissa Sawadogo et Bossobè Traoré.

Sur « la complicité d’assassinat », Me Paul Kéré est catégorique : « Il n’existe pas d’éléments de preuves qui montrent que Gilbert se trouvait au Conseil de l’Entente et qu’il a participé au commando » qui a assassiné le président et ses douze compagnons de malheur. En embouchant la même trompette, Me Mathieu Somé a affirmé que « l’infraction est prescrite ». Pour donner du poids à son argumentaire, l’homme de droit est remonté aux débuts de la procédure. D’abord une plainte déposée en 1997, à quelques jours de la prescription de l’infraction – près de dix ans après la commission –, qui a ouvert la bataille judiciaire avec comme fait majeur une décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation qui avait clos l’affaire en 2001. « Cette clôture devrait enclencher le principe de l’autorité de la chose jugée, du moins rendre impossible tout autre nouvel examen », argue Me Mathieu Somé.

Il n’y a pas de complicité d’assassinat…

Qu’à cela ne tienne, souligne le conseil, la réouverture du dossier en 2014, par le fait du prince, en pleine transition avec le président Michel Kafando, puis la saisine du commissaire du gouvernement burkinabè en mars 2015 n’avaient pas leur raison d’être. Et Me Somé de constater l’absence d’un acte de plainte depuis 2001, ce qui signifie que « le dossier a été rouvert plus de quatre ans après la prescription », « une procédure grossièrement cousue de fil blanc », s’indigne l’avocat. Et si l’accusation n’a pas manqué de rappeler que, en 2003, le comité des droits de l’homme de l’ONU a donné un avis favorable à ce que l’affaire ne soit pas enterrée, Me Somé estime que « cet avis reste un avis et n’a aucune valeur contraignante ». Et de rappeler qu’« en dehors du génocide, des crimes de guerre et contre l’humanité, toute autre infraction est prescriptible », avant de lancer cette boutade à l’accusation : « Revenons à ce que dit le droit, le reste n’est que bavardage. »

…ni d’attentat à la sûreté de l’État »

Lors de ses réquisitions, le parquet militaire a expliqué que l’infraction de complicité d’assassinat tire sa constitution de plusieurs raisons, dont la présence « passive » de Gilbert Diendéré au Conseil de l’Entente le jeudi fatidique et l’inexistence de sanctions contre les auteurs de l’irréparable. Des arguments que Me Somé a démonté les uns après les autres. Morceaux choisis : « Aliouna Traoré, le seul survivant de l’attaque dit que Diendéré n’était pas au Conseil de l’Entente ce jour-là. » « Lieutenant au moment des faits, Diendéré n’était pas en mesure de faire arrêter le commando. »

Sur l’infraction d’attentat à la sûreté de l’État, les avocats n’ont pas manqué de répliques au parquet militaire qui avait pourtant démontré qu’elle est suffisamment constituée. Après avoir défini ce grief comme le renversement par la violence d’un régime légal, la défense de Diendéré s’est voulue catégorique : « Le régime du CNR n’était pas légal », et de conclure : « Il n’y a donc pas attentat à la sûreté de l’État […] la loi étant d’interprétation stricte », selon Me Mathieu Somé, qui a, de ce fait, demandé que Gilbert Dienderé soit acquitté.

Rendez-vous le 6 avril pour le verdict

Pour la défense qui a, dans sa majorité, plaidé l’acquittement des mis en cause, la décision du juge doit rester impartiale. En clair, elle ne devra pas viser la satisfaction de l’opinion qui attend « une certaine vérité autre que la vérité des faits ». Me Mathieu Somé d’adresser des suggestions au président de la Chambre de première instance du tribunal militaire, Urbain Méda : « Votre décision devrait résulter d’un dialogue avec vous-même […] ce procès vous donne la chance de jouer votre rôle historique qui va crédibiliser notre justice. »

Au terme des plaidoiries, un ultime passage à la barre a été autorisé aux accusés. Les uns ont saisi la perche tendue pour clamer une fois de plus leur innocence, les autres ont plutôt vu l’occasion de s’incliner devant la mémoire des victimes, de saluer la tenue du procès, 34 ans après les événements.

Le verdict du jugement de la Chambre est attendu le 6 avril prochain. Puis devrait intervenir l’ouverture du volet international de ce dossier qui avait été scindé.

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