Passerelles piétonnes à Ouagadougou : adoptées par les enfants, rejetées par les adultes

Passerelles piétonnes à Ouagadougou : adoptées par les enfants, rejetées par les adultes
Passerelles piétonnes à Ouagadougou : adoptées par les enfants, rejetées par les adultes

Africa-Press – Burkina Faso. Les passerelles pour piétons construites pour faciliter la traversée en toute sécurité, au niveau de certaines zones à forte affluence, sont ignorées par la majorité des Ouagavillois qui préfèrent les laisser aux enfants et continuer à lutter dangereusement avec les automobilistes et les motocyclistes pour se frayer un passage. Constat.

Ce jeudi 1er décembre 2022 aux environs de 9h, Alima Taonsa est bloquée au beau milieu de la route devant le CHU Yalgado- Ouédraogo, le visage grave. Elle fulmine et crie contre ces automobilistes qui refusent de lui céder le passage. Mais peine perdue. Non seulement, les conducteurs refusent la priorité à dame Taonsa mais l’assourdissent aussi avec leurs klaxons comme pour lui dire qu’elle a intérêt à rester sur place, si elle tient à sa vie. Au bout de quelques minutes, la piétonne réussit tant bien que mal à s’en sortir.

Pourtant, la vendeuse d’eau et de jus devant l’hôpital avait une solution sous les yeux : le pont pour piétons ou passerelle piétonne, construit (e) il y a moins d’un an. Tout comme Alima Taonsa, ils sont nombreux ces Ouagavillois qui ne se servent pas encore de cette dizaine d’infrastructures réalisées devant des lieux de fortes affluences tels que les hôpitaux, les marchés et les écoles pour faciliter la traversée. C’est le cas de Roukiatou Bermonè.

Un peu plus tôt au niveau du marché de Nioko 2, la jeune mère, un nourrisson à la hauteur de la poitrine, a engagé une course pour traverser un tronçon tristement célèbre pour la fréquence des accidents, parfois mortels. La passerelle située à deux pas d’elle, est surtout empruntée par les enfants, surtout les écoliers. Malgré un marché et ses abords bondés en cette heure matinale d’achats de condiments et une chaussée drainant de très nombreux travailleurs et élèves vers le centre-ville, le pont cherche désespérément des adultes.

Ces derniers préfèrent se faufiler entre les voitures et les motos pour se frayer un passage plutôt que de prendre les escaliers. Le constat est le même à la passerelle située près de l’échangeur de l’Est et de la gare de l’Est, non loin du marché de Dassasgo. Seuls des rares passagers ou des petits marchands ambulants grimpent le pont. Moumouni Compaoré est à la recherche d’un objet utilitaire au niveau des boutiques qui longent le sud de la passerelle.

Après satisfaction, pas question pour lui de refaire 300 m en arrière pour emprunter le pont. Si l’écrasante majorité des usagers de la route s’abstiennent de passer par les passerelles piétonnes, quelques-uns s’en accommodent. Anne Marie Ilboudo prend le pont de Nioko2 avec sa petite fille en route pour l’école. La cinquantenaire assure qu’elle le fait à chaque fois, seule ou accompagnée, pour sa sécurité et pour celle des siens.

A Tampouy, Zacharia Bamogo a abandonné un court instant, sa moto devant une boutique, avant de prendre la passerelle pour rejoindre une cour située à l’opposé. Il exprime sa gratitude aux autorités pour avoir pensé à la sécurité des citoyens. Par peur des nombreuses motos et voitures, Boalidioa Lompo préfère aller payer « tranquillement sa cigarette » en passant par la passerelle de Yalgado. Il est suivi par Oumarou Tamboura. Le jeune homme, arrivé le 29 novembre 2022, de Djibo avec un proche malade, utilise le pont chaque fois qu’il va à la pharmacie de l’hôpital.

En fin de journée du 1er décembre 2022, Madeleine Nyampa, en classe de 4e, prend la passerelle de Nonsin pour rentrer à la maison. A cause d’un mal respiratoire chronique, l’adolescente ne prend jamais le risque de traverser la voie par peur de perdre le souffle en milieu de chaussée. Ibrahim Kaboré est conscient qu’en cas d’accident sous la passerelle, il ne pourra s’en prendre qu’à lui-même.

C’est pourquoi le jeune marchand de vêtements trouve très judicieux de prendre l’infrastructure de Baskuy (route de Ouahigouya). Toutefois, malgré la très grande affluence en cette heure de descente (18h), certains téméraires n’hésitent pas à enjamber les blocs de béton surmontés de fer pour traverser la route. Assèta Sawadogo (16 ans environ) ne s’explique pas pourquoi «les garçons» jouent avec leur vie.

A ce sujet, elle n’est pas la seule à chercher à comprendre les motivations profondes des citoyens qui n’empruntent pas les passerelles. Les explications vont du simple au complexe en fonction des intervenants. Pour Issaka Ouédraogo, vendeur de cache-nez devant l’entrée de l’hôpital Yalgado-Ouédraogo, c’est parce que l’infrastructure n’a pas encore été inaugurée que les gens ne l’empruntent pas.

« Le principal mal qui ronge les gens aujourd’hui, est le mal des articulations. Chaque fois que j’emprunte la passerelle durant la journée, la nuit au moment de me coucher, j’ai mal partout. C’est pourquoi je préfère négocier pour traverser. Le pont est une bonne idée. Seulement il n’est pas fait pour les souffrants», se justifie Alima Taonsa.

Seydou Tiemtoré, vendeur de pièces détachées au pied de la passerelle de l’Est, témoigne que ceux qui viennent des provinces utilisent davantage ces infrastructures plus que les citadins. Il pense que les autorités devraient d’abord donner l’exemple en prenant régulièrement les ponts. De l’avis de Salif Bikienga, vendeur d’objets plastiques sous la passerelle de Nioko 2, la nouveauté de l’infrastructure fait que certains passent plutôt leur temps à l’admirer et pensent même qu’il faut payer avant de l’utiliser.

La sexagénaire, Sophie Kagambega, dit avoir des vertiges quand elle emprunte ledit pont. C’est pourquoi elle traverse chaque fois la chaussée pour aller au marché de Nioko 2. « Le pont aide nos enfants. Mais les adultes peuvent se démerder en regardant bien à droite et à gauche avant de traverser », se convainc Roukiatou Bermonè. Le maraîcher Salfo Sawadogo comprend les vieilles personnes mais interpelle les plus jeunes sur le fait qu’il ne doit pas être question de facilité ou de paresse quand leurs vies sont en jeu.

« Vraiment, les agents de sécurité font des efforts pour nous encadrer. C’est nous seulement qui sommes têtus. De nos jours, nous sommes devenus tous des récalcitrants. Nous faisons comme bon nous semble. Pourtant, ce n’est ni à notre avantage ni à celui de nos enfants », ajoute-t-il. La vendeuse de fruits, Kadi Balma, pointe l’inaccessibilité de la passerelle de l’hôpital de Bogodogo.

En effet, des balises qui vont jusqu’à l’Agence nationale de sécurité alimentaire, de l’environnement, de l’alimentation et du travail (ex-Laboratoire national de santé publique) barrent l’accès aux marches du pont pour les usagers qui sortent du centre de santé. Mme Balma relève aussi le côté insalubre de l’infrastructure, devenue une véritable toilette publique pour les enfants en situation de rue et un gîte pour des présumés délinquants.

C’est fort de ce constat que la vendeuse dit avoir interdit à ses enfants de ne plus emprunter la passerelle. Le pont à piétons de la gare de l’Est et celui de l’hôpital pédiatrique Charles-de-Gaulle, sentent aussi des odeurs nauséabondes à cause des urines et des excréments humains qui sont visibles à plusieurs endroits. Pour les cas d’inaccessibilité, il faut noter aussi le cas du pont pour piétons de l’hôpital Yalgado-Ouédraogo.

A des moments de la journée, le parking interne réservé aux engins à deux roues est tellement bondé, que les motos sont simplement parquées contre les marches, rendant l’utilisation de l’infrastructure presque impossible. La passerelle de Nioko 2 est difficilement empruntable les matins, côté marché, à cause des nombreuses vendeuses qui se sont installées près des escaliers et de leurs clients qui y laissent vélos et motos avant de faire leurs achats.

« Chaque semaine, des voleurs dérobent au moins une moto de valeur sans compter les descentes de la Police municipale mais elles refusent de changer d’endroit ou de mettre simplement leurs engins au parking. C’est comme si elles ne tiraient pas leçon du vol des engins et des contraventions », peste un vendeur de médicaments de la rue de l’autre côté de la voie. Wendemi Kaboré est l’une de ces vendeuses.

« Les policiers nous fatiguent mais nous les fatiguons également. Pourtant, ils se soucient de nous mais nous sommes plutôt préoccupés par la recherche de notre pitance quotidienne », indique la vendeuse de salade et d’oignons à une coudée des escaliers. Elle dit être sur les lieux par contrainte car ayant perdu sa place au sein du marché. Le chargé des relations publiques de la Police municipale de Ouagadougou, Adama Pamtaba, confirme ces propos.

Il estime qu’il est difficile d’avoir à chaque mètre carré de la ville, un agent pour résoudre le problème d’occupation anarchique de la voie publique. Le policier soutient que c’est parce que les ponts pour piétons ne sont pas utilisés qu’ils sont détournés à d’autres fins. Si des petits délinquants en font leurs gîtes, d’autres citoyens en font leurs lieux de sport. C’est le cas de la passerelle de Tanghin où chaque soir, des sportifs cavalent sur les marches ou font des pompes.

Selon Adama Pamtaba, des patrouilles ciblent régulièrement les zones criminogènes, y compris les passerelles. Pour l’insalubrité, il indique que la Police municipale a le devoir d’adresser une contravention à toute personne prise sur- le-champ en train de salir la passerelle mais que le nettoyage ne relève pas de ses prérogatives. Par ailleurs, M. Pamtaba estime que les gens éprouvent des difficultés ou sont réticents à prendre ces infrastructures qui minimisent les risques d’accidents, parce qu’elles ne sont pas encore suffisamment entrées dans les mœurs.

Ce dernier aspect est partagé par le psychologue Valentin Couraogo. « Nous sommes dans une zone urbaine densément peuplée mais qui n’a pas encore acquis des habitudes des grandes agglomérations comme nous le voyons un peu ailleurs. Ces infrastructures sont assez récentes et leur mise à disposition n’est pas souvent suivie de vastes campagnes de sensibilisation », dit M. Couraogo.

Le spécialiste du comportement humain parle aussi du goût du risque chez les jeunes pour tantôt prouver leur bravoure tantôt pour défier l’autorité. D’après le psychologue, si certains individus changent de comportement après « avoir frôlé la mort », pour d’autres, il faut la sensibilisation, voire l’éducation sur les tenants et les aboutissants des passerelles. Selon Valentin Couraogo, un individu auparavant réticent peut changer par « intuition », ou lorsqu’il voit que son entourage ou des leaders charismatiques empruntent les ponts pour piétons.

Le directeur général de la Mobilité urbaine, Abel Wend-Gomdé Sawadogo, insiste quant à lui sur le respect de normes techniques. Selon lui, la voirie urbaine doit placer des éléments de contrainte qui obligent les usagers à passer forcément sur les passerelles. « Dans certains pays, on met des blocs suffisamment hauts au niveau des bordures latérales ou au niveau du terre-plein central pour obliger les gens à utiliser les ponts. Parce que les gens sont dans la logique de facilité, en voulant courir pour traverser plutôt que de faire l’effort de monter sur l’escalier et de descendre de l’autre côté », explique M. Sawadogo, par ailleurs responsable du programme ‘’Mobilité et Sécurité routière’’.

A titre d’exemple, il note que les piétons vont naturellement utiliser les feux tricolores situés à proximité des ponts pour traverser la route que de mettre plus de temps et d’efforts avec les passerelles. Abel Wend-Gomdé Sawadogo précise que des cadres de concertation ont vu le jour entre des acteurs à différents niveaux pour que désormais, tous les éléments soient pris en compte pour minimiser les défauts d’utilisation.

Tilado Apollinaire ABGA

Le jeudi 1er décembre 2022 aux environs de 17h20mn, un groupe d’élèves à vélo, traversent la chaussée sous la passerelle piétonne de Nonsin. Majoritairement des adolescentes, elles évitent soigneusement les intersections pour se faufiler entre une grille ‘’déchirée’’, placée au niveau du Terre-plein central (TPC), afin de séparer les deux voies. Tout à coup, une voiture projeta la dernière du groupe sur le bitume dans un bruit sec qui fit sursauter les riverains.

Fort heureusement, la voiture immatriculée « France au revoir » a pu freiner à quelque deux ou trois mètres de la gamine, âgée d’environ 11 à 13 ans. Des secouristes improvisés ordonnent à l’enfant tétanisée de rester immobile, pendant que ses camarades l’observent avec angoisse de l’autre bout de la voie. Au bout d’une vingtaine de minutes, elle se releva et s’assis sur le bord du TPC. Des professeurs ont quitté son établissement situé à un jet de pierre pour venir prendre ses nouvelles.

En attendant des éventuels examens médicaux, visiblement il y a eu plus de peur que de mal. Nous qui avons parcouru les différentes passerelles piétonnes de la ville de Ouagadougou, le même jour entre 6h et 19h pour comprendre les raisons qui poussent les gens à les éviter malgré les dangers, venions d’être malheureusement servi en direct. En effet, ce qui est arrivé à la petite a déjà touché de nombreux piétons, alors que la passerelle est à leur portée.

T.A.A.

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