Un Diagnostic au Vitriol

4
Un Diagnostic au Vitriol
Un Diagnostic au Vitriol

Fabrice Manirakiza

Africa-Press – Burundi. Le groupe des 20 parlementaires du parti Congrès national pour la liberté (CNL) proches d’Agathon Rwasa ont envoyé, ce lundi 2 juin, une lettre ouverte au Chef de l’Etat Evariste Ndayishimiye. Un réquisitoire accablant sur la situation politique, socio-économique et sécuritaire à la veille des élections législatives et communales du 5 juin 2025.

En se référant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques ratifié par le Burundi le 14 mars 1990, ces parlementaires, écartés des prochaines législatives et communales, constatent que la loi n’a pas de sens dans notre République.

En effet, lit-on dans cette lettre ouverte, l’arrêt RCCB 433 du 7 janvier 2025 de la Cour constitutionnelle qui prive une importante partie burundaise toutes catégories confondues de se faire élire, est une violation flagrante de ce pacte qui dispose en son article 25 que nul ne peut être discriminé pour quelque raison que ce soit. « Cet arrêt est tout autant une violation de la Constitution en ses articles 19 et 154. »

Ce groupe de parlementaires déplore une « CENI instrumentalisée à outrance », pour justifier cette violation de la Constitution. « Même un aveugle-né verrait que la CENI et la Cour Constitutionnelle ont conjugué leurs efforts pour ouvrir le boulevard au parti au pouvoir en organisant des élections exclusives et non démocratiques ».

Les parlementaires donnent l’exemple du dossier RAP 68 du parti CNL auprès de la Cour suprême en sa chambre administrative qui devrait être traité et conclu endéans 60 jours, mais qui demeure pendant depuis le 8 avril 2024 jusqu’à ce jour.

« On peut se poser que des questions sur cette inertie de la justice. Encore une fois, on peut constater que cette inertie, du moins pour le dossier RAP 68, a pour origine les calculs politiciens eu égard aux échéances électorales 2025-2027. »

« La violation des droits de l’homme au paroxysme »

D’après ces parlementaires, des arrestations et emprisonnements arbitraires ainsi que des disparitions forcées ou kidnapping ont été répertoriés depuis l’investiture du président Evariste Ndayishimiye.

Ils citent une dizaine de cas de ces crimes commis à l’encontre des membres du parti CNL. « Nous déplorons énergiquement cette situation ignoble et récurrente, qui semble ne pas trouver de remède si l’on regarde les cas d’actes pareils recensés dans le rapport de la CNIDH de l’année 2024. » Et de se demander à qui profite cette situation macabre décriée sans cesse et qui s’opère dans l’impunité totale?

Tout en saluant la mise en place de la Commission Vérité et Réconciliation (CVR) en 2014 pour qu’elle traite des violations massives des droits de l’Homme et œuvre à la réhabilitation des victimes, ces parlementaires s’inquiètent « de l’impunité totale des crimes similaires qui sont comme le lot quotidien des Burundais ».

Ils se posent plusieurs questions: « Quel paradoxe ! y aura-t-il une CVR bis? Pourra-t-on réaliser la vision 2040-2060 tant chantée avec une population divisée délibérément en citoyens de première classe et ceux de seconde zone étiquetés Ibipinga dans le jargon de votre parti politique et qui ne nécessite aucun égard aux yeux de vos militants et autres administratifs? »

Une situation socio-économique catastrophique

« Qui ne déplorerait pas la pénurie chronique de carburant, la rareté des devises avec toutes les conséquences qui s’ensuivraient notamment une inflation sans cesse croissante qui traduit en grands caractères l’effondrement tant de l’économie nationale que du pouvoir d’achat des citoyens qui arrivent désormais à peine à subvenir à leurs besoins alimentaires. »

On pourrait saluer le génie politique de tout concentrer entre vos mains pour jongler avec toute cette litanie de problèmes qui font face à la population burundaise, poursuivent-ils, mais nous craignons que ce ne soit pas plutôt juste un cumul de fonctions. « La domiciliation de la BRB à la présidence de la République ne résout en rien la problématique des devises tout autant que la création de la SOPEBU n’est pas la solution à la crise du carburant. »

Pour eux, il faut trouver des solutions à la spéculation sur les devises, au favoritisme dans l’octroi des marchés publics et des licences d’importation de produits pétroliers et autres et à la corruption. « Si l’on ne cesse pas de confondre l’Etat avec le CNDD-FDD… le risque est grand que l’on n’aille pas au-delà du discours alléchant et des slogans. » D’ailleurs, ces parlementaires se demandent la valeur ajoutée des tables rondes et foras organisés lorsque la vie du citoyen ne cesse de se dégrader.

Concernant le secteur éducatif, ils font savoir qu’on ne peut pas réussir une éducation de qualité sans bancs d’élèves ni matériel didactique en suffisance, sans équipements informatiques, sans laboratoires et bibliothèques bien équipés pour les écoles, instituts et universités, sans bourse suffisante et foyers universitaires pour les étudiants et de surcroît sans traitement adéquat des enseignants et professeurs, entraînant des fuites incessantes de cerveaux vers d’autres pays qui les traitent mieux.

« Comment réussir au niveau du secteur de la santé sans infrastructures et équipements adéquats sans oublier la rareté et la cherté des médicaments de qualité? Comment mettre en place une politique salutaire de protection des vulnérables en misant sur le financement de cette dernière par une population qui vit dans une précarité inquiétante et qui prend déjà en charge plus de 80 % du budget général de l’État? Comment réussir également ce pilier sans mesures concrètes pour motiver les médecins et autres personnels médicaux afin de stopper leur fuite vers l’étranger. »

Ils s’interrogent encore: « Il est peut-être bon de dire de bonnes choses en période électorale. A moins que cela ne soit une démarche démagogique, comment réussir la construction d’échangeurs routiers alors que même les routes existantes sont en état déplorable? »

Et d’ajouter: « Comment couvrira-t-on les besoins énergétiques avec des projets énergétiques interminables tels que Kabu 16 toujours inachevé alors qu’il devrait générer de l’électricité depuis 2017, le projet hydro-électrique Jiji-Murembwe dont les débuts de financement datent de 2017 mais qui jusqu’ici n’arrive même pas à la phase de réception provisoire, occasionnant des délestages interminables? »

Un autre cas très alarmant, selon ces élus du peuple, est celui de la construction par le Groupement chinois CNME-CGC du barrage hydroélectrique de Mpanda en zone Muyebe de la commune Musigati. Selon eux, le budget de 54 milliards de BIF alloué à ce projet a été bousillé.

Ils rappellent au président de la République que lors de sa visite sur le site dudit barrage le 15 octobre 2021, il avait été sidéré par la gestion honteuse dudit projet et il avait donné deux semaines de calendrier au ministre en charge de l’énergie pour débusquer les responsables de ce scandale aux fins d’en répondre devant les juridictions. « Pour combien de temps les Burundais attendront-ils la fin de ces deux semaines? »

Concernant le domaine de l’agriculture, de l’élevage et de l’environnement, les parlementaires trouvent que le crédit budgétaire de 434 milliards prévu pour ce secteur dont 354 milliards pour l’agriculture (7 % du budget global) est amplement insuffisant vu que 90 % de la population burundaise vit de l’agriculture.

Quid de la gestion du secteur minier?

Ces élus du peuple demandent qu’il y ait une transparence effective dans ce secteur, que cela soit au niveau de l’attribution des marchés aux sociétés multinationales ou nationales d’exploitation des minerais, des contrats ou conventions, des études de faisabilité, de l’exportation des minerais ainsi qu’au niveau de la déclaration des revenus ou bénéfices.

« Il est difficilement compréhensible de trouver dans les dépenses prévues dans le Budget général de l’Etat 2025-2026 une ligne de crédit budgétaire dénommée Exploitation des substances minérales qui ne s’élève qu’à environ 22,9 milliards de BIF, alors que normalement ce secteur devrait contribuer énormément à augmenter sensiblement les recettes. Il est également inimaginable que le secteur de l’exploitation de l’or, avec plus de 340 sociétés coopératives, travaillant jour et nuit, n’affiche rien comme rendement à l’OBR ».

Plusieurs questions sont posées: « Où va toute la quantité extraite? Et où va l’argent qui en résulte? Dans l’exploitation d’autres minéraux comme le colombo-tantalite et autres, nous trouvons déjà des sociétés minières qui sont en activité comme SOTREVO, COMEBU et SOTB. Est-ce que ces dernières sont passées par la concurrence? Sinon, à qui profite ce manque de transparence? », se demandent ces proches d’Agathon Rwasa.

Quid des propositions de voies de solutions?

Les 20 parlementaires proposent entre autres pistes de solutions l’organisation, dans les plus brefs délais, d’une Conférence nationale à laquelle seront conviés les Burundais de toutes tendances, afin de définir ensemble les perspectives d’avenir et une feuille de route pour bâtir un Burundi pour tous, prospère et stable.

Pour eux, il ne faut pas « mettre en avant des élections à la va-vite, exclusives, sans concurrence ni transparence, ponctuées de violences et d’abus multiformes qui cachent mal un état de monopartisme de fait aux allures dictatoriales. »

Ce groupe sous la houlette d’Agathon Rwasa invite le gouvernement à nouer de bonnes relations avec ses voisins et avec la communauté des partenaires tant bilatéraux que multilatéraux. « La Communauté internationale en général, et les garants des Accords d’Arusha pour la Paix et la Réconciliation des Barundi en particulier, devraient investir dans la réhabilitation desdits accords qui avaient contribué dans le passé récent à apporter une lueur d’espoir et un retour rapide à la paix ».

De plus, poursuivent-ils, la guerre en RDC doit cesser pour l’intérêt de la RDC elle-même et de tous ses pays limitrophes y compris le Burundi impliqué indirectement dans ce conflit. « Le gouvernement burundais doit créer un environnement rassurant et inciter les réfugiés burundais à rentrer volontairement au bercail conformément aux dispositions légales pertinentes, afin de participer pleinement au développement de leur patrie ».

Pour conclure, ils trouvent qu’il est grand temps de songer, dans l’avenir, à l’organisation de véritables élections inclusives, gérées par une Commission électorale nationale indépendante (CENI) ainsi que ses démembrements émanant d’une large concertation des partis prenant part aux élections et véritablement indépendants.

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Burundi, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here