Africa-Press – Burkina Faso. Privés de lumière depuis des millions d’années, les petits poissons cavernicoles américains n’ont plus ni yeux ni couleurs. Mais leur génome conserve les traces de ces éléments perdus et il permet aujourd’hui de dater l’âge des grottes qu’ils habitent. En comparant 88 gènes liés à la vision chez l’ensemble des amblyopsidés (le groupe des poissons aveugles), une équipe internationale montre que la perte de la vue s’est produite plusieurs fois, indépendamment, après des colonisations séparées de différentes grottes. Les résultats sont publiés dans la revue Molecular Biology and Evolution.
Des grottes anciennes et des évolutions parallèles
Dans l’obscurité, les gènes de la vision deviennent inutiles et finissent par s’altérer. En étudiant les mutations génétiques responsables de la dégénérescence oculaire, les chercheurs ont mis au point une sorte d’horloge mutationnelle leur permettant d’estimer le moment où chaque espèce a commencé à perdre ses yeux. Ils ont découvert que les gènes liés à la vision de la plus ancienne espèce de poisson cavernicole, le poisson cavernicole des Ozarks (Troglichthys rosae), ont commencé à dégénérer il y a 11 millions d’années. Et les plus récents ont perdu les organes de la vision il y a environ 2,25 millions d’années.
Selon les auteurs, ces résultats, outre le fait qu’ils permettent de mieux comprendre la phylogénie des poissons aveugles, offrent aussi une nouvelle méthode pour déterminer l’âge des grottes dans lesquelles ils vivent. Une estimation qui est normalement réalisée avec des méthodes géologiques classiques, rarement fiables au-delà de 3 à 5 millions d’années dans ces environnements. Comme ils supposent que les yeux ont commencé à dégénérer après l’entrée de ces espèces dans les grottes, cela « permet d’inférer l’âge minimal des cavités qu’elles occupent”, explique Chase Brownstein, co-auteur de l’étude.
Un modèle pour comprendre les maladies humaines
L’étude ne se limite pas à la géologie car les résultats ouvrent aussi une perspective médicale: “Un certain nombre de mutations que nous observons correspondent à des altérations impliquées dans des maladies oculaires humaines. Étudier ces poissons peut aider à comprendre les mécanismes génomiques de ces pathologies”, précise Thomas J. Near, un autre co-auteur.
Parmi les gènes affectés chez les poissons cavernicoles, plusieurs sont ainsi impliqués dans des maladies héréditaires de la rétine. Leur évolution régressive rappelle des mutations responsables de la rétinite pigmentaire (qui conduit progressivement à la cécité), de l’amaurose congénitale de Leber ou encore de certaines dégénérescences maculaires. En comparant les mécanismes observés chez ces poissons et ceux décrits chez l’humain, les chercheurs espèrent mieux comprendre comment la perte de fonction de certains gènes entraîne la disparition des cellules sensibles à la lumière.
Ces résultats offrent donc un double outil: un chronomètre pour les géologues et un modèle biologique pour les généticiens et les médecins. Les mêmes travaux pourraient être menés sur d’autres faunes cavernicoles, comme les crustacés ou les salamandres, afin de comparer les rythmes d’évolution entre bassins karstiques.
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